Faces Cachées
Musée de la mémoire et de la création textile, la Manufacture de Roubaix rassemble le travail de vingt-et-un artistes issus d’horizons culturels éclectiques (France, Belgique, Allemagne, Suède, Bénin, Alaska…) autour du thème du masque et de ses multiples avatars.
Sous le commissariat de la plasticienne et photographe Christine Mathieu, c’est ainsi un florilège de regards, de détournements et d’appropriations artistiques qui est présenté au public à travers cette pratique au renouveau sans précédent : l’art textile.
Puisant leur inspiration directement sur le terrain, ou au contact des collections des musées d’ethnographie, nombreux sont en effet les artistes qui explorent les différentes fonctions du masque (travestissement, recouvrement, effacement…) pour mieux interroger leur identité et s’inventer leurs propres rituels. Dans la lignée des Picasso et des Giacometti qui, au siècle dernier, revivifièrent leur inspiration en puisant à la sève nourricière des masques eskimos, africains et océaniens, ces « néo-primitivistes » succombent à leur tour à la séduction de ces faces étranges au pouvoir hypnotique.
Nul « cannibalisme culturel », cependant, dans leur démarche aussi poétique que singulière. Chez le « photographe-voyageur » français Charles Fréger, comme chez le béninois Léonce Raphael Agbodjelou, le regard se fait anthropologique, dressant l’inventaire de costumes rituels dont la beauté plastique le dispute à la fonction sacrée.
Mais pour la plasticienne Christine Mathieu (France), l’intention est toute autre. Mêlant les temporalités et les civilisations, bousculant les échelles et les matériaux, l’artiste s’autorise à tisser un dialogue onirique entre un masque des peuples autochtones d’Alaska conservé au musée du Château de Boulogne-sur-Mer, avec une coiffe en dentelle appartenant aux collections du Mucem (Marseille). De cette rencontre improbable surgit un artefact troublant qui réactive le geste ancestral des artistes anonymes qui fabriquèrent ces objets, tout en convoquant le souvenir de ceux ou de celles qui les ont portés.
Vivant à Berlin, l’artiste allemande Iwajla Klinke réalise, quant à elle, d’énigmatiques portraits sur fond noir d’enfants et d’adolescent masqués et costumés, qui interrogent avec subtilité cet âge où tout n’est que rite de passage, dissimulation, voire refoulement. La plasticienne anglaise Julie Cockburn redonne de son côté une seconde vie à de vieilles photographies des années quarante et soixante, qu’elle magnifie par le prisme de collage/camouflage, du découpage et de la broderie. On retrouve la même veine surréaliste dans le travail de l’artiste italien Maurizio Anzeri. Recouverts de tissages et de broderies qui leur confèrent une préciosité onirique, ses photographies de sujets anonymes acquièrent une présence pour le moins troublante.
De même, l’inquiétante étrangeté du costume rituel trouve un écho poétique dans les gigantesques installations de la jeune artiste et designer française Jeanne Vicerial, tandis qu’absurde, humour, grotesque et effroi sont convoqués a contrario dans les masques du Tchèque Michael Nosek, comme dans ceux des sculptrices textiles Séverine Gallardo (France) et Nathalie Bissig (Suisse).
Se refusant de tomber dans l’écueil d’un regard européo-centré, la commissaire a choisi d’associer à ce projet quatre artistes issus des communautés des peuples autochtones d’Alaska : Alison Bremner, Da-ka-xeen Mehner, Drew Michael et Jack Abraham. Loin de tout folklorisme, ces derniers réactivent par le biais de leurs créations la relation charnelle et spirituelle qui ne cesse de les relier à leurs coutumes et à leurs ancêtres.
Bérénice Geoffroy-Schneiter
Historienne de l’art, membre de l’AICA
Maurizio Anzeri, Profile black, 2019 © photo: Speltdoorm Studio – courtesy: Galila’s collection, Belgium. Création graphique: Atelier Bien-Vu
Commissariat d’exposition : Christine Mathieu
Avec: Alison Bremner, Charles Fréger, Christine Mathieu, Da-ka-xeen Mehner, Darius Dolatyari-Dolatdoust, Drew Michael, Harald Fernagu, Iwajla Klinke, Jack Abraham, Julie Cockburn, Jeanne Vicerial, Lucy Glendinning, Leonce Raphael Agbodjelou, Markus Akesson, Maurizio Anzeri, Michael Nosek, Nathalie Bissig, Shadi Ghadirian, Séverine Gallardo, Threadstories, Thorsten Brinkmann.
Vernissage de l’exposition: Vendredi 21 avril à 18h30
INFOS
Du mardi au dimanche
de 14h à 18h
€ Tarifs
• 4€ (inclus dans le billet d’entrée « visite guidée », « parcours vidéo-guidé » ou « visite libre »)
• Gratuité :
Tous les premiers dimanches du mois.
Demandeurs d’emplois, allocataires du RSA, – de 18 ans, C’Art, City Pass, carte ICOM, détenteurs billets couplés Piscine et Villa Cavrois, étudiants, professeurs, journalistes, professionnels de l’art, personnes en situation de handicap et un accompagnateur, ambassadeurs de Roubaix, Loisirs Eclats, carte pro tourisme, guides conférenciers, habitants en QPV de la Métropole Lilloise, enseignants préparant une visite programmée.